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Libération d’un failli en cas de fraude et de fausses déclarations

Dans la récente décision Compagnie d’assurance d’hypothèques Sagen Canada c. Cyr 2023 QCCS 4763, la Cour supérieure du Québec a rendu une décision importante clarifiant les circonstances dans lesquelles une déclaration fausse peut empêcher l’effet libératoire résultant de la faillite.

En principe, le processus de la faillite aura pour effet de libérer un débiteur de la totalité des réclamations prouvables que détenaient des créanciers à son égard, mais à son article 178(1), la Loi sur la faillite et l’insolvabilité énumère une série d’exceptions, dont le cas « …de toute dette ou obligation résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux-semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits, autre qu’une dette ou obligation qui découle d’une réclamation relative à des capitaux propres. » (alinéa 178(1)(e)).

Malgré une croyance largement répandue, il n’est toutefois pas suffisant pour un créancier d’alléguer simplement qu’il y a eu fraude ou mensonge de la part du débiteur.

En effet, les critères d’application de cette exception sont les suivants :

  • Le paragraphe 178(1) LFI dans son ensemble doit recevoir une interprétation restrictive;
  • Dans le cas de l’alinéa 178(1)(e) LFI, le créancier doit établir: (i) que son débiteur lui a fait une représentation; (ii) que celle-ci était fausse; (iii) que le débiteur savait que sa représentation était fausse; et (iv) que la représentation fausse a été faite dans le but d’obtenir un bien ou un service;
  • Le créancier doit prouver l’intention de frauder suivant une preuve «prépondérante de qualité»;
  • La fausse représentation doit être faite par le débiteur et l’intention de frauder doit exister dans son esprit. Si l’intention coupable n’est pas imputable au débiteur lui-même, l’alinéa 178(1)(e) LFI est inapplicable, peu importe qu’il ait obtenu le bien ou le service. La loi cherche à punir le réel fraudeur et non la personne qui aurait pu bénéficier de la fraude tout en étant elle-même de bonne foi;
  • L’intention coupable de frauder ou d’induire en erreur devait donc exister dans l’esprit du débiteur au moment où la représentation a été faite, et avoir été communiquée au créancier à ce moment également;
  • Il doit y avoir eu “obtention” d’un bien ou d’un service, en conséquence directe de la fausse représentation proférée, et l’exception à la libération est limitée à la seule valeur du bien ou du service ainsi obtenu;
  • Par conséquent, les autres dommages collatéraux qui ne reflètent pas strictement la valeur du bien ou du service obtenu ne sont pas visés par l’alinéa 178(1)(e), comme par exemple les frais juridiques, les frais d’expertise, les frais de gestion, les dommages punitifs et exemplaires, les dommages-intérêts généraux et autres réclamations similaires;

Ce type de débat se soulève généralement à l’occasion de la présentation par un créancier d’une demande pour être autorisé à continuer l’exécution d’un jugement obtenu antérieurement à la faillite, en vertu de l’article 69.4 LFI.

Or, il est important de souligner que dans la mesure où un tel jugement civil avait été prononcé sans référence à l’alinéa 178(1)(e), le tribunal en matière de faillite se limitera généralement à faire la seule analyse du libellé de ce jugement, sans tenir un nouveau procès et sans administrer de nouvelle preuve. Malgré tout, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Montréal (Ville) c. Restructuration Deloitte inc. 2021 CSC 53, a établi que « …malgré la présence de conclusions liées possiblement à la fraude prononcées dans le cadre d’un procès antérieur, ou encore lorsqu’un jugement par défaut ou un acquiescement à jugement contiendrait de telles conclusions… », il faut que le tribunal en matière de faillite tire ses propres conclusions factuelles et soit rigoureux dans son appréciation de la preuve. Par exemple, la signature d’un acquiescement à jugement à l’égard d’une réclamation monétaire n’implique pas nécessairement qu’il y a eu admission d’allégations de fausses représentations.

Par contre, si aucun jugement antérieur n’existe, une véritable audition contestée peut être tenue à l’occasion de la présentation d’une demande fondée sur l’article 69.4 LFI, avec témoignages et preuve documentaire, puisque le tribunal de faillite établira dans ce forum si la réclamation du créancier bénéficie ou non d’une des exceptions à la libération énumérées à l’article 178(1) LFI.

Finalement, il faut rappeler que même si l’autorisation de continuer les procédures était accordée au créancier, celle-ci ne prendra effet qu’à la libération du syndic, et non à la libération du débiteur.

Référence : Compagnie d’assurance d’hypothèques Sagen Canada c. Cyr 2023 QCCS 4763 https://canlii.ca/t/k1txd

Avocat impliqué : Me Jean-Philippe Gervais